Vignerons Champenois : face à la tentation du volume ?
Vendredi dernier est paru dans le journal local de la Champagne – L’Union – un entrefilet qui mérite la plus grande attention. C’est même un « cas » passionnant de stratégie pour les grandes écoles et universités et j’en recommande la lecture à tous les enseignants.
On y encourage les vignerons de Champagne à suivre la voie tracée par le Bordelais et qui a fait de ce magnifique vignoble un champ de ruines où ne survivent que quelques grandes signatures.
Qui a déjà oublié le bordeaux Comte de Maignac millésime 2021 vendu dans une enseigne de Carrefour 1,66 € (L’Union, 4 avril 2024) ?
Ultime étape d’une course aveugle au volume par le prix…
La recette du désastre est simple : j’ai du mal à vendre mes vins avec rentabilité, alors je vais en produire encore plus.
Sans regarder ce que les marchés – et d’abord mes clients « historiques » – sont encore prêts à absorber.
De par la concurrence d’autres régions, d’autres pays, d’autres modes d’achat, de consommation et, plus largement, de l’évolution des modes de vie.
De par le vieillissement irrémédiable de ma clientèle « fidèle », en l’absence de renouvellement significatif comme d’ouverture vers de nouveaux débouchés, tous ces facteurs me limitant à une source d’activité qui se tarit inexorablement…
Je vends à perte, alors je vais essayer de vendre toujours plus, pour compenser.
Mais à une clientèle qui s’évapore jour après jour.
Pour cela, je vais geler mes prix.
Alors que mes coûts de production explosent…
Et comme je ne suis pas capable de vendre avec rentabilité à Tours ou St Malo, je me dis que je saurai le faire à Hambourg ou Tokyo ! Il suffira de quelques heures de formation…
En amont, les experts-comptables pourront l’affiner, mais chaque bouteille de Champagne vendue par un vigneron à – environ – moins de 17 € TTC gâche les grappes qui l’ont fait naître.
Ces grappes représentent à elles seules autour de 10 € TTC en valeur de matière première mise en œuvre pour chaque bouteille.
En aval, n’oublions surtout pas les conclusions de l’enquête présentée en février dernier par le Comité : pour la nouvelle clientèle à acquérir puis fidéliser, en gros les 25 / 35 ans, un Champagne affiché à moins de 25 € ne mérite aucune attention.
S’ils veulent juste se faire un petit plaisir sans chichi, un crémant d’Alsace, de Loire… ou un Franciacorta vers 14 / 15 € sera parfait.
Un « Grand » d’ailleurs plutôt qu’un « petit » de Champagne.
En 2023, la profession a réussi un exploit : elle a encaissé autant d’argent qu’en 2022, presque 6,5 milliards d’Euros, en économisant autour de 25 millions de bouteilles !
Oui, la Champagne a gagné sur les deux tableaux.
Bien vu, car avec le dérèglement climatique et le souci d’une viticulture plus « verte » les méga-rendements vont s’éloigner dans le rétroviseur.
Si ce n’est déjà fait, il faut apprendre – très vite – à être plus rentable avec moins de grappes, comme déjà tant de vignerons Champenois le font avec succès.
Ou cesser la manipulation et s’orienter vers les autres formes de valorisation de la vigne.
2024 sera moins « fun », car partout soufflent des vents mauvais.
Encore une raison de travailler – vers le haut – sa valeur et ses clientèles, pas ses volumes.
On en reparlera…
Et surtout d’abandonner vite l’idée saugrenue que le seuil de rentabilité d’une entreprise – quel que soit son domaine d’activité – dépend uniquement du volume produit : même pas de son chiffre d’affaires !